Une situation paradoxale s’est cristallisée le 1er mai 2025. Alors que le Code du travail interdit formellement aux boulangeries d’employer leurs salariés ce jour-là, trois établissements ont été verbalisés pour avoir contourné cette règle.
Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, tente de minimiser : “Ce n’est pas anecdotique, mais il y a eu très peu de verbalisations.”
Pourtant, derrière ces chiffres se cache une problématique juridique majeure qui met les 35 000 boulangeries françaises dans une incertitude dangereuse.
Le cadre légal instable
Une règle générale stricte
L’article L. 3133-4 du Code du travail est clair : le 1er mai demeure un jour férié chômé pour l’ensemble des salariés. La dérogation prévue à l’article L. 3133-6 ne concerne que “les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail”.
Cette exception critique pose un problème de taille : aucune liste officielle ne détermine quels établissements peuvent en bénéficier. La charge de la preuve incombe systématiquement à l’employeur, qui doit démontrer que son activité ne peut s’interrompre. Un fardeau administratif que beaucoup de boulangers sous-estiment.
L’effondrement d’une protection historique
La position ministérielle de 1986, qui servait de bouclier juridique aux boulangeries depuis près de quarante ans, a perdu toute valeur juridique. Les juristes le confirment : cette ancienne tolérance ne peut plus protéger les professionnels en cas de contrôle. La Cour de cassation a tranché dès 2006 en renforçant les exigences de preuve.
Suite aux contrôles vendéens de 2024, la Confédération nationale a tenté un dialogue avec le ministère du Travail. Le résultat ? Une confirmation brutale : “Les positions administratives ne lient pas les juridictions et ne suffisent donc plus à justifier une dérogation.”

Risques et sanctions en 2025
Des amendes qui frappent fort
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans les Hauts-de-Seine, un boulanger a reçu une amende de 7 500 euros pour avoir employé son personnel le 1er mai. Le calcul est simple : 750 euros par salarié concerné, avec possibilité de validation ou non par le procureur. L’artisan concerné ne montre aucun regret : “C’est de la conscience professionnelle”, dit-il, évoquant ses livraisons aux EHPAD.
Une évaluation au cas par cas
L’équation devient redoutable. Chaque inspection du travail s’appuie sur une autonomie totale d’appréciation. Un boulanger peut être sanctionné dans une ville, épargné dans une autre. Les critères retenus varient : obligation de livraison à des établissements essentiels, unique boulangerie d’une commune, nécessité pour la continuité de la vie sociale.
La législation en chantier
Une proposition prometteuse
Deux sénateurs, Annick Billon et Hervé Marseille, ont déposé un texte visant à autoriser le travail le 1er mai pour les établissements déjà exemptés du repos dominical. Cette proposition de loi cherche à aligner les régimes, mais son calendrier reste incertain. Son adoption éventuelle ne produirait effets qu’à partir de 2026.
La profession mobilisée
La Confédération nationale défend le caractère essentiel du métier. Les arguments avancés touchent à la fois à l’économie – “ce sont de bonnes journées” – et au service public. Les 12 millions de consommateurs friands de pâtisseries fraîches le 1er mai deviennent un argument marketing évident.

Stratégies opérationnelles
Les exceptions validées
Certaines situations peuvent justifier l’emploi de salariés le 1er mai :
- Boulangeries approvisionnant des hôpitaux, EHPAD ou prisons
- Seule boulangerie-pâtisserie d’une commune
- Activité “indispensable à la continuité de la vie sociale”
Les alternatives légales
Face à l’incertitude, la prudence commande :
- L’artisan travaille seul, sans salarié
- Emploi de membres de la famille non salariés de l’entreprise
- Coordination entre boulangeries d’un même territoire pour un “maillage” du service
La situation des boulangeries le 1er mai 2025 illustre un vide juridique préoccupant. Entre obligation d’offrir un service public de proximité et risque de sanctions financières, les professionnels naviguent dans une zone grise. La proposition de loi en cours d’examen pourrait apporter une clarification, mais pas avant 2026.
En attendant, la recommandation reste claire : l’emploi de salariés le 1er mai expose à des amendes substantielles. Chaque patron doit évaluer sa situation spécifique et assumer les risques potentiels.